Nous vivons en France une expérience inédite par l’ampleur et la durée de la récusation des principes intangibles de Libertés, qualifiés tour à tour de tromperie ou d’inconstance, alors qu’ils structuraient et fédéraient jusqu’ici tant bien que mal notre nation autour d’un État de droit.
Nos décideurs et leurs inconditionnels séides aux convictions malléables en viennent à vouloir châtier des comportements prétendument déviants jusque dans les havres du savoir, écoles et universités et dont la liste ne cesse de s’allonger à coup de contrôles administratifs, d’interpellations, de gardes à vue, de déferrements zélés en justice et de prison, au nom du maintien obsessionnel de l’ordre public, étranger à la sûreté républicaine que l’on doit à son peuple.
Ces prélats à la foi aléatoire qui ne manquent guère d’inclure dans leur frénésie de discipline publique les enfants aux consciences politiques naissantes – classe dangereuse par excellence – et les chercher, les contrôler jusqu’aux abords des écoles, le carnet de correspondance tenu en main, et les interpeller sans ménagement avec la duplicité d’un corps préfectoral sans état d’âme.
Nos censeurs ainsi inspirés font le choix de déserter le sens universel de nos libertés trop abondantes à leur goût dans un pays qu’ils croient trop pauvre en ordre institutionnel mais toujours trop nanti en droits pour les personnes qui en sont souvent dépourvues, alors qu’ils considèrent avec mépris ce peuple prétentieux qui serait en quête de privilèges inutiles.
Ces gens de peu hier et de rien aujourd’hui qui refusent de traverser la rue pour découvrir les bienfaits d’un travail devenu illusoire et qui n’y voient rien d’autre que les inaccessibles vitrines de luxe de la rue du Faubourg Saint-Honoré.
Nos princes du haut de leur forteresse, n’entendent pas le cri désespéré de ceux dans le besoin de tout, qui ne souhaitent obtenir qu’un travail pérenne, un toit décent, de quoi faire bouillir la marmite, éduquer leurs enfants et ne plus avoir à dormir dans leur voiture.
Mais ces maîtres, pour faire taire la contestation de leurs sujets et ne pas avoir à résoudre les drames sociaux, font le choix de mettre en place une société muette et aveugle…
Une société muette qui ne revendiquera rien, sauf le droit de se satisfaire de l’autoritarisme, de la propagande et de la violence institutionnelle dans les oripeaux d’une République issue du Conseil National de la Résistance en voie de lapidation, qui ne se veut plus soucieuse de la dignité des précaires dans un pays où près de dix millions de Français se trouvent sous le seuil de pauvreté et six autres millions – souvent les mêmes – sont mal logés, alors qu’au nom de la cohérence organisationnelle, Madame Belloubet, ex-ministre de la justice, supprimait le juge d’instance. Magistrat seul habilité dans une société hystérisée par le profit à rendre justice aux plus démunis et à sanctionner les abus commis par les marchands de rêve et de sommeil !
La République comme usurpée fera alors de la surveillance de masse, et plus encore de la violence faite à son peuple taisant et meurtri, l’expression normalisée du fonctionnement de sa police et non plus une fraude intolérable à l’État de droit.
Une société aveugle qui commença à affranchir les policiers du maintien de l’ordre des règles de reconnaissance de leur qualité par la suppression de leurs insignes extérieurs – Les Uniformes et les Référentiels des Identités de l’Organisation (RIO) – Elle fit alors le choix délibéré de rendre impossible la distinction des policiers qui agissent dans l’intérêt de la loi, de ceux qui la bafouent.
La République – reprise d’une main de fer par un coup de force parlementaire – dans le silence du peuple et de ses représentants, se piquait ensuite d’imposer un ordre nouveau, celui du floutage de ses fonctionnaires de police en rendant impossible l’identification des auteurs de violences et en faisant table rase du tollé causé par les multiples violences – dont celles commises sur Geneviève Gay et celles qui causèrent la mort horrible et filmée de Cédric Chouviat – comme pour les rendre légitimes et les institutionnaliser.
Le courroux du procureur général Molins, rappelant le droit, ne s’est d’ailleurs pas fait attendre. Le haut magistrat dénoncera la dérive institutionnelle en invitant ses collègues du parquet à considérer que les vidéos prises au cours des scènes de violences policières sont suffisamment probantes pour ouvrir des enquêtes et engager des poursuites pénales contre les délinquants à l’ordre républicain.
Mais rien n’y a fait.
Le message perfide du pouvoir se pique alors de nous faire croire que l’objectif majeur du floutage est de préserver les policiers des menaces qui pleuvent sur les réseaux sociaux, alors que la grande majorité de ces messages en réponse ne sont rien d’autres que l’expression d’une inquiétude grandissante et d’une contestation partagée par des milliers d’internautes. Vaste écran de fumée destinéà faciliter la mise en œuvre d’un principe d’irresponsabilité, gravement générateur de récidive, mais voulu par des syndicats de police réactionnaires aux valeurs de la République.
Pourtant qui pouvait se reconnaitre dans cette police construite en marge de l’État de droit, à part des esprits nourris par la vulgarité et la pauvreté de leurs convictions ?
Faut-il alors considérer que ceux qui nous dirigent ont un besoin si impérieux de cette police là pour subsister et que leur objectif est de donner libre cours à une mutation de l’État de droit en État autoritaire ?
Faut-il avoir de l’imagination pour penser que l’Histoire ne nous aurait rien appris pour méconnaître à ce point que la dictature est un régime où une personne seule ou un clan décide des lois ?
Faut-il avoir une imagination débordante pour considérer que notre pays fait aujourd’hui de la coercition institutionnelle un principe de société qui transgresse les valeurs démocratiques qui construisirent l’histoire, la force et la vitalité de la Nation Française, comme Christiane Taubira le soulignait il y a peu à propos de la pensée de Monsieur Darmanin, ministre de l’intérieur, la qualifiant d’indigente moralement, politiquement, culturellement et indifférente aux dégâts considérables qu’elle pouvait produire ?
Faut-il croire que cette forme de mépris politique imposé au peuple ne prépare ou n’instaure guère le fascisme, comme le soulignait Albert Camus avec génie et la perspicacité de l’expérience qu’on lui a connu dans l’Homme révolté ?
Et que dire de ces édiles – les mêmes qui nous infligent pareille dérive institutionnelle – dont certains savourent dans l’impunité les forfaits qu’ils ont parfois avoué, voire revendiqué sans en rendre compte ni à leurs victimes, ni à la justice ni au peuple souverain et que rien ne vient combattre leur obsession de criminaliser tous les comportements, y compris ceux provoqués par la misère ?
Combien de temps encore leur sera-t-il permis de condamner la misère pour mieux épargner les nantis du crime, lorsqu’on sait que le mépris fait au peuple lui permet aussi de construire sa force dans cette humiliation ?