La manière dubitative dont la question est posée (le progrès social est-il encore possible?) témoigne que quelque chose a eu lieu concernant l'union même du mot «progrès» et de l'adjectif «social». l'idée de progrès social assemblait, de fait, plusieurs idées distinctes. Il y avait l'idée d'une amélioration du sort du plus grand nombre due au progrès de la prise en charge collective de la vie économique et sociale. Mais il y avait aussi l'idée que le développement économique et la marche même de l'histoire créaient en même temps un surplus de richesse partageable et les forces collectives capables d'imposer par la lutte un partage juste. C'est cette assimilation en progrès historique et justice sociale qui a été atteinte par le formidable mouvement de réaction qui s'est développé dans les trente dernières années. Celui-ci a brutalement rappelé que le développement économique ne produisait par lui même aucune amélioration de la condition du plus grand nombre. Il s'est appliquéà détruire les formes de la solidarité sociale et les conditions de l'action collective et a repris à son profit l'idée de la nécessité historique objective. Aujourd'hui toute tentative de maintenir les acquis des luttes sociales est taxée de défense arriérée des «privilèges» du passé.Il faut en prendre acte: l'idée de justice sociale, l’espérance d'un monde où le plus grand nombre participe aux décisions qui les concernent et le privilège donnéà l'action collective sont en opposition directe à la marche dominante du temps, celle qu'organise les puissances financières et étatiques.Si ces idées ont de l'avenir, ce n'est par aucune nécessité objective, mais par la seule force de celles et ceux qui les prennent en mains et qui se battent pour leur donner une réalité en ayant conscience d'aller à contre courant.
Ensemble n°79, journal des adhérents de la CGT